Un regard sur le projet Good Practice « la gestion à distance des travaux de groupe »
Rapport pédagogique rédigé à l’attention des responsables du projet.
Résumé :
Débattre de la plus-value pédagogique d’un projet comme celui-ci est une question délicate. En effet, la plate-forme ZwookEdu reste un moyen de travailler les objectifs d’apprentissage et son utilisation en classe n’implique pas sine qua nun la maîtrise des objectifs par l’élève. Au-delà du moyen utilisé, c’est surtout la qualité des interactions entre l’enseignant et ses élèves qui sera déterminante pour les apprentissages.
Passé cette remarque importante, et si l’on regarde les projets menés par les testeurs, on s’aperçoit que ZwookEdu a été utilisé pour gérer des travaux individuels ou de groupe (attribution d’une page par élève, suivi du travail par commentaires écrits ou oraux), pour développer des productions d’élève et les publier sur le Web à destination des parents, amis, autres élèves (expression écrite, orale, artistique, etc.) ou pour développer des exercices d’entraînement sur certains objectifs délimités (orthographe, lecture, etc.).
Ces différentes utilisations peuvent concerner aussi bien des apprentissages de bas niveau taxonomique (voir notes de bas de page) au travers des exercices d’entraînement (connaître l’orthographe d’un mot ou le vocabulaire) que des objectifs de haut niveau avec les exercices de production (créer, développer une argumentation, écrire une narration, etc.).
Enfin, l’utilisation de ce genre d’outil à l’école soulève quelques questions éthiques ou sociales - qui méritent débat, voire mesures d’accompagnement - et des questions didactiques qui mériteraient un travail de développement et de concertation avec les didacticiens des différentes disciplines.
Introduction :
Ce rapport s’intéresse à la plus-value pédagogique du projet. Il tente de répondre à la question :
Qu’est-ce que la plate-forme ZwookEdu et l’utilisation qui en est faite par les testeurs apporte à la formation de l’élève ?
Pour débattre de cette question, cette analyse se base sur les documents « Suivi du projet » réalisés par chaque testeur ainsi que sur la visite des différents sites créés par les testeurs. Il n’y a pas eu de contact plus avancé avec les testeurs.
Trois grandes manières d’utiliser la plate-forme ZwookEdu ont été identifiées:
- Gérer des travaux individuels ou de groupe à distance ou en différé.
- Mettre les élèves dans des situations de communication authentique.
- Fournir à l’élève des occasions de s’entraîner sur des objectifs très délimités.
Chacune de ces utilisations sera décrite et leurs intérêts et limites seront discutés.
Utilisation 1 :
Gérer des travaux individuels ou de groupe à distance ou en différé
Un des objectifs du projet était de tester le module progest spécialement développé par l’équipe ZwookEdu pour gérer à distance les travaux individuels ou de groupe. Il permet à l’élève de travailler de façon personnelle, de reprendre ses travaux à la lumière des commentaires personnalisés de l’enseignant, de prendre connaissance des travaux des autres élèves lorsque l’enseignant les juge aboutis. L’enseignant peut configurer la tâche (modèle), suivre les travaux de chaque élève, apporter des commentaires personnalisés, publier le résultat lorsqu’il le juge abouti (voir démonstration sur : ZwookEdu > Good Practice > Vidéo). L’utilisation est exactement la même pour gérer des travaux de groupe.
Utilisation que les testeurs en ont faite :
- Rédiger une aventure : travail individuel sur la narration (langue 1, 6ème, cf. Bétrisey).
- Travailler sur les groupes de la phrase : travail individuel et de groupe sur la structuration (langue 1, 3-4ème, cf. Briguet).
- Recherche documentaire sur les oiseaux : travail individuel (langue 1, connaissance de l’environnement, 3-4ème, cf. Briguet).
- Présentation de la classe sur le web : travail individuel et de groupe (langue 1 et arts graphiques, classe spécialisée, cf. Sciolli).
- Analyse critique de caricatures : travail individuel (langue 1, 9ème, cf. Silian).
- Etude d’un milieu naturel : travaux de groupe (connaissance de l’environnement, 5-6ème, cf. Favre).
On constate que ce sont surtout les enseignants des grands degrés qui ont privilégié ce module pour gérer des travaux généralement individuels.
Une des fonctions très utilisées de progest est l’attribution d’une page par élève sur laquelle il travaille personnellement (ex. projet Caricature de Silian, 9ème). Dans la mesure où les élèves ont une certaine autonomie en informatique et en lecture/écriture, cela offre une commodité tant à l’enseignant qu’à l’élève car tout est centralisé en un seul endroit, consultable par l’élève et l’enseignant, voire éventuellement les autres élèves. La plus-value est ici essentiellement organisationnelle.
Mais l’intérêt de progest est d’offrir une possibilité d’interaction. En pédagogie, on sait que l’interaction entre l’enseignant et l’élève ou entre les élèves tient une place centrale dans les apprentissages. Progest permet à l’enseignant de faire des commentaires à l’élève ou au groupe d’élèves. Un testeur (cf. Bétrisey) a fait un usage particulièrement détaillé de cette fonction. Selon ses commentaires, et par rapport à une gestion non informatique de ce genre de travaux, le module progest lui permet d’intervenir en différé - ce qui lui laisse un délai de réflexion et un certain confort - mais exige de la précision dans les remarques écrites. Pour ses élèves, le module requiert une certaine autonomie ainsi qu’une bonne capacité à gérer les remarques écrites (ce qui, de son point de vue, n’est pas toujours évident dans le cadre de sa classe de 5-6ème).
Outre une plus-value organisationnelle, le module progest offre donc une fonctionnalité pédagogique intéressante, surtout pour les élèves s’approchant de la fin de la scolarité obligatoire et qui possèdent une certaine autonomie d’apprentissage. Mais ne confondons pas l’outil et l’artisan : c’est avant tout la qualité de l’interaction qui engendre l’apprentissage de l’élève, plus que le vecteur utilisé (informatique, sur papier, par oral). A ce titre, l’exemple développé par Bétrisey est instructif : des élèves sont arrivés à des productions intéressantes grâce à un gros travail de régulation de sa part, via des commentaires écrits dans progest. Comme il le dit lui-même, sans exigence ni encouragement, les élèves rechignent à reprendre leur texte, que ce soit sur papier ou sur un clavier.
Utilisation 2 :
Mettre les élèves dans des situations de communication authentique
En regardant plus largement tous les projets lancés par les testeurs, on constate que la plate-forme ZwookEdu est souvent utilisée pour communiquer et partager avec des destinataires identifiés (parents, autres élèves, etc.), dans une situation de communication authentique. A condition que l’enseignant maîtrise les différents médias impliqués (ce qui n’est pas à sous-estimer !), la plate-forme offre une facilité à associer des textes, des dessins scannés, des photos, des enregistrements, des vidéos (grâce aux modules de publication et de communication: texte FCK ou Epoz, image, Mp3, album-photo, animation flash, forum, messagerie). Cela contribue à une certaine attractivité du produit fini.
Utilisations privilégiées par les testeurs dans cette catégorie :
- en enfantine ou 1ère et 2ème : pour publier des photos d’un lapin observé en classe, poser des questions à son sujet sur un forum (Cf. Lamon), publier une présentation de chaque élève (Cf. Sabino, Viellieber, etc.), mettre à disposition les bandes musicales des chants travaillés, etc.
- dans les degrés 3ème à 9ème : pour publier un journal (cf. Theytaz, Silian, Favre, etc.), publier des reportages sur des visites d’entreprise ou des interviews (cf. Favre, Métrailler J-D, Métrailler M-T), publier des créations artistiques (cf. Métrailler JD), etc.
Le travail des élèves porte sur la préparation du matériel publié, qui est plus ou moins conséquent selon les projets. La mise en forme sur la plate-forme est prise en charge par l’enseignant ou ses élèves, selon les degrés et la complexité des travaux. Par rapport à d’autres situations de communication authentique (journal, spectacle, exposition, etc.), la publication sur une plate-forme informatique a l’avantage d’être durable et de concentrer tous les éléments au même endroit avec de grandes facilités d’accès. Notons que les travaux développés sous « utilisation 1 » peuvent évoluer vers ce deuxième type d’utilisation.
D’un point de vue pédagogique, comme toutes les situations de communication authentique, la publication sur le web met en projet les activités d’apprentissage et leur donne du sens. Elle fonctionne bien lorsqu’il y a un réel répondant de la part des destinataires de la communication (p. ex. les parents avec l’histoire de Nincia, cf. Sabino, ou les élèves de 3P, cf. Lamon). L’avantage de ce genre de mise en projet est de pouvoir travailler sur des objectifs de niveaux taxonomiques supérieurs tels que produire un texte, s’exprimer, argumenter, créer, etc.
Ce type d’utilisation fonctionne bien si les destinataires de la communication communiquent ; or certain(e)s enseignant(e)s en enfantine ont été déçu(e)s par la non-réponse des parents (cf. commentaires de Lamon, Magliocco et Sabino). Ce genre de mise en projet peut aussi présenter le risque d’une survalorisation du produit fini au détriment de l’apprentissage qui est en jeu ; trop préoccupé par le résultat, le projet devient celui de l’enseignant et non plus celui des élèves (ce n’est pas le cas ici). Enfin, ce genre de publication présente également un problème éthique qui a été soulevé par certain(e)s enseignant(e)s : les productions scolaires sont généralement exposées et discutées au sein de la classe, sous la conduite de l’enseignant qui est garant de certaines règles (droit à l’erreur, non-jugement, remarques constructives, etc.) ; or, on ne sait pas si celles-ci sont respectées lors d’une publication sur le web, ce qui peut aller à l’encontre des objectifs éducatifs de l’école.
Enfin, répétons la remarque faite plus haut, à savoir qu’avec ou sans moyen informatique, les apprentissages sont avant tout le résultat d’une interaction de qualité entre l’enseignant et les élèves. Le projet Viellieber, p. ex., montre dans ce contexte combien les interactions sont importantes : ses élèves ont produit successivement 3 autoportraits et 3 présentations orales enregistrées sur lesquelles les progressions sont tangibles. Ce résultat n’a pu être atteint qu’au travers d’un travail assidu de débat et d’analyse des productions 1 et 2 en fonction de certains critères déclarés (travail mentionné par le testeur dans son rapport).
Utilisation 3 :
Fournir à l’élève des occasions de s’entraîner sur des objectifs très délimités.
Une des autres fonctions privilégiées par les testeurs sur la plate-forme ZwookEdu est la mise à disposition d’exercices d’entraînement sur certains objectifs très délimités, avec possibilité pour l’enseignant de superviser les scores obtenus par les élèves (modules orthoflash, hotpatatoes, geomap). On y retrouve des exercices tels que :
- en enfantine : apparier des mots, recopier des mots, reconnaître des chiffres, etc. (cf. p. ex. Magliocco), placer des mots sur une image (cf. p. ex. Lamon) ;
- en primaire : associer un mot à une image, recopier des mots (voir par ex. tous les développements proposés par Viellieber), s’entraîner à une dictée (cf. p. ex. Boand), mémoriser des localisations ;
- en classes spéciales : association de mot à une image (cf. p. ex. Métrailler M-T) ; à noter que sur ce projet, ce sont les élèves qui élaborent les exercices (ce genre d’utilisation fait partie du mode d’utilisation 2).
Ce qu’apporte l’informatique dans ce domaine est avant tout une possibilité, pour l’élève, de s’entraîner seul à la maîtrise de certains aspects. Ce travail peut se faire en classe ou à la maison. Il présente donc un intérêt pédagogique pour des objectifs très délimités, à moins qu’on élabore progressivement des tâches plus ouvertes.
Outre cette fonction d’entraînement autonome de l’élève, ces exercices devraient permettre un suivi de la part de l’enseignant afin d’identifier les élèves en difficulté et travailler avec eux de façon plus soutenue. Placer ces exercices sur une plate-forme ne signifie donc pas déléguer la responsabilité des apprentissages aux élèves ou à leurs parents.
Dans la relation pédagogique, ces exercices présentent le risque de faire croire aux élèves et aux parents voire à soi-même, en tant qu’enseignant, que l’apprentissage se limite à ces objectifs très délimités et de bas niveau taxonomique ; or, les plans d’études montrent qu’ils ne représentent qu’une partie des objectifs d’apprentissage, aux côtés d’objectifs impliquant la maîtrise de situations plus complexes (par ex. s’exprimer par écrit, s’exprimer oralement, etc. ; voir mode d’utilisation 2).
Conclusion
Ce projet a le mérite d’initier des expériences et des réflexions sur la manière d’utiliser les ICT en classe. Les trois types d’utilisations qui ont été commentés ci-dessus montrent que la plate-forme ZwookEdu permet une gestion de travaux individuels d’élèves (généralement textuels), une publication des productions des élèves (productions de tout type) et un travail autonome très ciblé sur certains objectifs délimités. Selon comment elle est utilisée, elle permet donc de couvrir des objectifs de différents niveaux taxonomiques. Comme tous les autres moyens à disposition de l’enseignant, la plate-forme ZwookEdu n’est qu’un outil ; il produira de l’apprentissage que si les interactions entre les élèves et l’enseignant au travers de ce canal sont de qualité.
En dehors du projet lui-même, une telle expérience pose la question du « fossé numérique ». Plusieurs testeurs disent que les élèves ayant un accès internet à la maison s’investissent davantage. Certes, on peut dire qu’on est à une étape du développement et que dans quelques années, tous les ménages seront équipés. A terme, il restera des différences notoires dans l’accès des familles à internet (matériel, comme par exemple le débit de la connexion, mais également en terme de capacité familiale à gérer l’outil). Dans la mesure du possible, il devient nécessaire de penser une différenciation ou à un soutien aux élèves socialement défavorisés sur ce plan.
L’expérience pose également de réelles questions didactiques qui mériteraient d’être davantage développées. Comme nous l’avons répété à plusieurs reprises, une telle plate-forme représente un moyen et ne garantit pas automatiquement des apprentissages. Grâce aux expériences faites par les testeurs, quelques questions didactiques, en relation avec les apprentissages, ont pu être soulevées dans ce rapport. Elles méritent certains développements si l’on veut que les ICT se mettent au service des apprentissages des élèves, comme par ex.:
- Dans quelles conditions, dans quelles disciplines, à quels degrés d’autonomie les élèves peuvent-ils prendre en charge, grâce aux outils informatiques, des tâches de production (orale, écrite, artistique, scientifiques, etc.) correspondant aux objectifs de la scolarité obligatoire ?
- Quel type d’interaction les ICT favorisent-elles ? Dans quelles conditions d’utilisation les ICT peuvent-elles engendrer une interaction de qualité entre l’enseignant et les élèves, entre les élèves, etc.?
- Quels critères sont utilisés par l’enseignant pour apprécier les productions et interagir avec les élèves ? Les élèves les connaissent-ils et peuvent-ils, sur cette base, réorienter leur travail ou apprécier le travail de leurs collègues ?
- Le Web offre des situations de communication réelles : comment l’utiliser pour que les élèves réajustent leurs productions en fonction de celles-ci?
- Comment les ICT peuvent-elles être mises en œuvre pour favoriser un travail autonome de certains élèves sur des objectifs qu’ils ne maîtrisent pas encore (différenciation) ?
- Comment les ICT peuvent-elles permettre un travail autonome des élèves qui maîtrisent les objectifs fondamentaux afin que l’enseignant puisse consacrer davantage de temps aux élèves qui ne les maîtrisent pas encore (différenciation) ?
Toutes ces questions cherchent à déterminer en quoi l’outil informatique peut devenir médiateur de l’apprentissage, aux côtés de l’enseignant. Ce travail devrait nécessairement se faire en collaboration avec les didacticiens de chaque discipline afin de mener une réflexion approfondie sur la contribution des ICT à chaque type d’apprentissage.
Samuel Fierz
Février 2007
Bloom a catégorisé les objectifs de travail en 6 niveaux distincts:
1. Connaissance : définir, identifier, nommer, énumérer, dire avec ses propres mots …
2. Compréhension : décrire, résumer, expliquer, interpréter …
3. Application : utiliser, résoudre, construire, démontrer, calculer, dériver…
4. Analyse : analyser, distinguer, comparer, faire le choix …
5. Synthèse : concevoir, rédiger, planifier, réaliser, faire un exposé, produire, mettre au point
6. Evaluation : justifier, défendre, juger de, argumenter, critiquer, évaluer …